Annabelle – Elevée par des parents syndicalistes, communistes et très militants, j’ai toujours cru dur comme fer que les gens de droite étaient des êtres maléfiques et dangereux : étriqués tant dans leur mode de pensée, que dans leur mode de vie, et même jusque dans leur manière de s’habiller. Pour un peu, je vérifierais si sous leur petit pull bleu marine, ils n’auraient pas, par hasard, le corps couvert d’écailles.
Je ne suis pas très ouverte d’esprit moi non plus…
Alors vous pouvez imaginer le choc quand j’ai découvert que le bel adonis, avec lequel j’entretenais une liaison des plus torrides depuis trois, avait sa carte à l’UMP. Au secours ! Mes sels ! Un choc d’autant plus fort, que le mal était fait. Jérôme je l’avais dans la peau et il était impensable de le quitter.
D’abord, j’ai encaissé la nouvelle. Un moment difficile, car s’il avait soigneusement masqué sa félonie, j’avais pour ma part déjà péroré des heures et des heures sur tous les travers de l’UMP.… Sans parler des chefs d’entreprises : des requins à la solde des incapables susmentionnés ! Nous ne pouvions plus nier nos différences de vue.
Folle amoureuse, j’ai essayé de dédramatiser et de voir les choses du bon côté. Après tout Alain Juppé n’est pas si mal, on peut adhérer et ne pas être d’accord, il va sans doute se réveiller… Mais le problème avec les différences d’opinions politiques, c’est que même si elles peuvent rester tout à fait anecdotiques dans la vie d’un couple – avec un gros passage à négocier chaque cinq ans, tout de même -, une fois qu’on en a conscience, on ne peut pas ne pas y penser.
Le plus dur, c’est de lui en vouloir. Quand j’entends à la radio le discours d’un homme politique de droite glosant sur des âneries avec le ton d’un grand sage délivrant des traits de génie, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver un mouvement d’agacement à l’égard de Jérôme. Car même si je sais que ma propre éducation politique n’est pas très subtile et doit parfois lui être insupportable, même si avec l’âge tout cela a de moins en moins d’importance, je ne peux m’empêcher de penser, de réagir à la société dans laquelle je vis, dans laquelle j’évolue en tant que femme et citoyenne. Et dans ces moments-là, le gouffre qui me sépare de Jérôme me paraît incommensurable. Alors oui, toutes ces petites différences peuvent sembler ridicules et marginales comparées aux écarts sociaux et culturels, mais dans le fond cela reste quand même comme une épine dans mon pied, ou plutôt dans mon couple.
Propos recueillis par Camille Limouzin